Peut-on améliorer le quotidien de nos chevaux de compétition à travers l’optimisation de leur bien-être et de leur confort au sein de leur habitat ? Voici les étapes qui ont été nécessaires pour aboutir à une démarche conceptuelle de l’habitat des chevaux :
- Une étude historique de l’architecture équestre
- L’étude sensorielle du cheval domestiqué
- Une étude des paramètres biologiques ciblés
- Nouvelle approche architecturale
S’appuyer sur l’étude historique de l’architecture équestre afin de dégager les axes d’amélioration nécessaires à l’habitat des chevaux…
Jusqu’au XVIII ème siècle, l’architecture équestre est d’aspect sobre, sans ornement et le confort spatial du cheval laisse à désirer. Seules les écuries princières mettent en valeur le cheval. C’est notamment le cas à Versailles ou Chantilly, mais uniquement par le décor dont elles sont ornementées. Il n’y a pas de réflexion sur l’habitat des chevaux. Les écuries restent seulement le reflet du pouvoir de leurs propriétaires.
Ce sont les écuries militaires qui ont permis de lancer la réflexion sur le bien-être et le confort au sein de l’habitat des chevaux. En effet, elles accueillent de nombreux chevaux, à l’échelle des besoins de l’armée. Cette surpopulation induite par le souhait de lier l’habitat de la cavalerie à celui des soldats référents, a conduit à des épidémies dévastatrices. En effet, les chevaux sont proches les uns des autres et trop nombreux en un même lieu. Cela provoque des contaminations et une rapide propagation des germes. Ces épisodes épidémiques ont ainsi mené vers une réflexion hygiéniste et rationaliste.
Une prise de conscience sur l’habitat des chevaux
Cette prise de conscience a conduit à l’élargissement de l’espace de vie, la gestion de la ventilation, la dénivellation du sol, l’évolution de la matérialité des mangeoires et l’augmentation des espaces de circulation. La dimension de l’espace de vie à doubler. Nous sommes passés d’une stabulation de 1.20 mètres à un boxe de 2.40 mètres. Les bâtiments restent collectifs, mais l’augmentation des dimensionnement associée à la création d’ouvrant permet une meilleure ventilation. Cela limite ainsi l’apparition des maladies. De même, la dénivellation du sol de 2% permettant d’évacuer les urines. Par ailleurs, l’évolution de la matérialité des mangeoires ont permis d’éviter la stagnation de germes. Enfin, les espaces de circulation s’agrandissent pour des raisons de sécurité et pour optimiser le passage des flux.
Les écuries existantes suppriment un bat-flanc intermédiaire pour créer un boxe, augmentent les espaces de circulation, dénivellent le sol, développent la matérialité et améliorent la ventilation.
Une utilisation du cheval qui change dans l’histoire
L’utilisation quotidienne du cheval s’est éteinte, autant pour le travail au champ, le déplacement que pour l’armée. Mais les nouvelles utilisations en lien avec le loisir ont permis de maintenir les cheptels existants. Ces nouvelles utilisations du cheval vers le concours hippique, le spectacle ou le loisir induisent aussi de nouveaux usages pour les écuries. Cela nécessite souvent de nouveaux locaux ou une adaptation des locaux existants.
Les performances sportives qu’elles soient techniques ou artistiques amènent les écuyers à reconsidérer le lieu de travail, la gestion programmatique du quotidien et aussi l’habitat de leur monture. En effet, la pratique de la compétition a fait prendre conscience aux cavaliers que le bien-être moral de leur monture doit être en totale adéquation avec ses efforts physiques. Par ailleurs, ses temps de récupération doivent également être optimisés en vue de l’amélioration de ses performances sportives.
Au XIXème siècle, les boxes extérieurs de 3 par 3 mètres se généralisent dans les Haras et les centres d’entraînement, mais restent une exception dans les écuries militaires. Quant aux boxes intérieurs, ils ne se développent que dans des écuries particulières. Saumur fut à nouveau le lieu d’expérimentation en installant trois bâtiments de boxes extérieurs, les écuries Paddocks, destinés aux chevaux de sport et de courses.
S’interroger sur les besoins spatiaux de notre cheval à travers une étude sensorielle…
D’après les écrits d’Edward Hall dans son œuvre « La dimension cachée », le constat observé par rapport aux questions de densité est celui de l’importance de l’espace individuel. Les chevaux sont des êtres sans contact mais qui ont besoin de vivre en groupe. Chaque cheval établit sa propre bulle d’environ 5 mètres, distance à laquelle il se sent en sécurité. Les chevaux sauvages qui perçoivent un danger prennent la fuite pour assurer leur sécurité, entraînant la totalité du groupe. Cette transmission instinctive définit le cloaque comportemental. Les chevaux domestiqués ont conservé cet instinct mais ne sont pas toujours à l’aise en liberté. Le processus de leur propre prise en charge fait partie de leur apprentissage auprès de l’homme.
L’architecture équestre prend de l’ampleur dans le design de l’habitat des chevaux
Le rôle de l’architecture équestre prend alors toute sa dimension dans le but de leur donner les outils nécessaires à leur bien-être. L’objectif est que les chevaux se sentent en sécurité, s’apaisent et s’épanouissent au sein de leur habitat. Après constat, il semblerait que la vision représente le sens le plus développé chez les animaux domestiqués. La prise en compte de celle du cheval qui s’étend à 360 degrés pourrait permettre d’améliorer son confort.
La bulle que le cheval développe, représente son atmosphère de sécurité et lui permet de se rassurer des bruits via sa vision. Il est alors intéressant de s’interroger sur les dimensions, actuellement, standardisées des boxes de 3 par 3 mètres. Suite aux recherches sur la personnalité du cheval libre et domestiqué, il est constaté que les sens chez le cheval sont complémentaires les uns des autres. Son bien-être ne peut être assuré que si ses inquiétudes sont rassurées et apaisées.
Comprendre le fonctionnement psychologique du cheval
Pour permettre au cheval de sublimer son art, il faut qu’il se sente apaisé tout au long de son processus de dressage et de vie. Avant de comprendre le fonctionnement psychologique du cheval, il est nécessaire de comprendre son fonctionnement physiologique. Il consiste en la réception de l’information du milieu extérieur au niveau des cellules réceptrices de l’organe sensoriel. Celle-ci se transmet aux cellules effectives de l’organe actantiel grâce aux neurotransmetteurs. Ces organes sont reliés l’un à l’autre par un appareil de contrôle situé dans le système nerveux central. Les cellules sensorielles provoquent ensuite l’excitation des sens. Les cellules motrices, quant à elles, provoquent l’impulsion du mouvement. Ces dernières servent seulement de pièces de transmission pour conduire les ondes d’excitation corporelle jusqu’aux muscles des effecteurs selon l’arc réflexe de Jakob Von Uexküll dans son œuvre « Milieu animal et milieu humain ».
Cibler les paramètres biologiques qui ont une influence sur notre cheval…
La vie confinée que mène un cheval en dehors des heures de travail, la nourriture plus riche ainsi que l’habitude de le tondre donc de le couvrir, le rend plus fragile. Cela lui fait perdre de sa rusticité. Il se trouve ainsi plus sujet aux maladies. Les deux principales causes de mortalité sont dues à des complications de l’appareil respiratoire ou de l’appareil digestif. La nécessité de la ferrure liée au travail forcé sur des sols plus ou moins durs, est le résultat de la plupart des maladies du pied ou des boiteries.
L’habitat des chevaux, l’écurie, évolue enfin !
L’évolution des écuries au cours de l’histoire montrent bien la prise de conscience de l’homme sur les conditions de logement des chevaux. Ils comprennent enfin qu’elles influencent son bien-être physique et moral. Les découvertes vétérinaires ont permis d’acquérir la connaissance physique des chevaux. L’habitat des chevaux peut évoluer en se servant des connaissances acquises. Notamment au sujet des enveloppes surfaciques de types épidermes, muqueuses et pieds qui sont, grâce à leurs terminaisons nerveuses et à la présence de nombreux vaisseaux sanguins, en lien direct avec l’environnement ambiant que constitue l’habitat.
La ventilation intervient sur l’ensemble des facteurs environnementaux. Cela inclut la température, l’hygrométrie, la contamination microbienne et la concentration en gaz toxiques. Les maladies respiratoires sont souvent d’origines allergiques ou infectieuses. L’objectif consiste donc à minimiser l’exposition des chevaux aux allergènes. Une bonne ventilation évacue ainsi instantanément les rejets sans stagnation, recirculation ni courants d’air.
Paramètres biologiques pour le bien-être équin
Paramètres biologiques pouvant avoir des répercussions sur les principales maladies de nos chevaux :
?Température :
- 37,5°C < Température corporelle du cheval au repos < 38,2°C
- 10°C < Température de confort d’une écurie < 15°C
? Condensation
- Taux d’humidité relatif minimal : 30 % (Dessèchement des muqueuses)
- Taux d’humidité relatif maximal : 60 % (Limite de prolifération des acariens)
? Respiration
- Pour un cheval au repos, la respiration est de 8 à 12 cycles/min pour une capacité pulmonaire de 80 litres par minute soit un volume d’air par cycle de 8 litres en moyenne.
? Caractéristiques de l’air
Vers une nouvelle approche architecturale s’appuyant sur l’optimisation des paramètres caractérisant notre cheval
Il serait approprié de proposer une conception architecturale en adéquation avec les sens du cheval en se servant des connaissances actuelles sur son aspect corporel et comportemental pour donner forme à une architecture en corrélation avec les sensations physiologiques et psychologiques. L’environnement ambiant que constitue l’atmosphère du boxe pourrait devenir un élément faisant corps avec le cheval où l’architecture deviendrait une seconde enveloppe épidermique capable d’optimiser ses besoins en température, en humidité et en ventilation, sorte de préparation à la thermorégulation via la conduction, la convection, la radiation et l’évaporation. L’ensemble architectural deviendrait grâce à l’optimisation des flux internes, un écosystème à part entière.
L’humidité, ennemi numéro 1…
L’humidité représente la principale cause de transmission des germes. Elle est produite par la respiration et les déjections. Son évacuation passe par un système permanent de ventilation avec un mouvement d’air continu vers le haut. Cependant, elle doit être contrôlée. En effet, l’air très sec est chargé de poussières qui s’infiltrent dans le système respiratoire de l’animal. Alors que l’air froid et très humide peut réduire les propriétés isolantes de la robe. Enfin, l’air chaud et très humide peut produire une accumulation d’eau qui se condense à la surface des matériaux provoquant une détérioration prématurée des locaux.
La ventilation d’été associée à des parois possédant une inertie thermique doit être directe pour créer une accélération momentanée de l’air donnant une impression de fraîcheur. Quant à elle, la ventilation d’hiver associée à des parois isolantes doit être indirecte afin que l’air soit orienté pour perdre de sa vitesse mais surtout réchauffé avant d’entrer pour absorber l’humidité et éviter la condensation. En effet, la ventilation dépend du nombre de chevaux et de leur capacité pulmonaire, elle est assurée par la présence d’ouverture avec une surface minimale modulable et une répartition efficace.
Caractéristique de l’habitat des chevaux
Pour adapter les écuries à leur environnement, il faut déterminer les caractéristiques du site en termes d’orientation, de vitesse des vents puis d’ensoleillement. Ces caractéristiques associées aux besoins physiologiques issues de données vétérinaires vont orienter la conception architecturale vers une corrélation entre l’environnement et l’usager.
La disposition programmatique des éléments architecturaux donneront l’occasion de traiter la propagation des flux notamment de l’air, de la température, de la lumière et des urines. Ces paramètres créeront une dynamique de fluides propre à l’habitat des chevaux.
Comportement du boxe selon les saisons :
Régulation de la température ambiante par la ventilation via le dégagement de chaleur corporelle :
Le principe de l’arc réflexe de Von Uexküll trouve alors tout son sens, les paramètres climatiques introduits dans l’architecture agissent sur le physique du cheval via ses capteurs physiologiques qui eux même vont influencer son état psychologique. Par rétroactivité, le bien-être psychologique influencera le bien-être physique et donc les performances. Pourrait-on parler d’architecture hippiatrique ?
Définitions
Thermorégulation : La thermorégulation permet d’éviter toute augmentation exagérée de sa température, le cheval dispose de 4 moyens pour dissiper cette chaleur. Ces moyens sont la conduction, la convection, la radiation et l’évaporation. La thermorégulation dépend de la surface corporelle, du poids, des poils et des conditions extérieures comme la température, l’humidité ou le vent. Notons que chez le cheval, 20% de l’énergie est transformée en mouvement et 80% en chaleur.
Conduction : La conduction est une perte de chaleur par contact entre un corps chaud et un corps froid.
Convection : La convection est une perte de chaleur par mouvement d’air à la surface de la peau. Cet air va se charger de vapeur d’eau donc de chaleur.
Radiation : La radiation correspond à une perte de chaleur sous forme de rayonnement infra-rouge. Plus la température extérieure est basse et plus la radiation est élevée. Par contre dans des conditions de température extérieure proche de la température corporelle, cette radiation va diminuer voire disparaître.
Évaporation : L’évaporation se définit par le processus au cours duquel l’eau est transformée en vapeur.
Inertie thermique : L’inertie thermique est la capacité d’un matériau à stocker de la chaleur pour la restituer de manière diffuse. Elle se caractérise par le déphasage au travers de la paroi et correspond au temps de traversée du flux de chaleur. Le déphasage idéal est de 12 heures. Il dépend de la densité et de la capacité isolante du mur. Il n’a de sens que si le bâtiment peut être refroidi durant la nuit au moment où le front de chaleur pénètre à l’intérieur.